Soupçonné d’être le pays qui détiendrait l’arsenal chimique le plus important et le plus avancé au Moyen-Orient, et d’avoir également initié un programme biologique, la Syrie fait partie des pays régulièrement accusés de contribuer dans cette zone à la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs. Proférant par ailleurs son soutien à l’instauration d’une zone exempte d’armes de destruction massive au Moyen-Orient, la Syrie a toujours refusé de devenir partie à la Convention sur l’interdiction des armes chimiques (CIAC), arguant du fait qu’elle ne pouvait accepter de renoncer de façon unilatérale tant qu’Israël disposerait d’un arsenal nucléaire et représenterait une menace pour sa sécurité. Elle a néanmoins adhéré au Protocole de Genève en 1968, comme l’a souligné en juillet dernier le Ministre des affaires étrangères russe Sergueï Lavrov. Le Protocole prohibe en effet l’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens biologiques, sans toutefois en interdire la possession, la mise au point ou encore l’emploi dans d’autres circonstances. La Syrie a introduit une réserve, précisant que sa ratification par le gouvernement ne représentait en aucun cas la reconnaissance d’Israël.
Il existe très peu d’informations concernant son programme chimique et la doctrine d’emploi. L’instabilité actuelle renforce les préoccupations, avec d’une part la question d’un éventuel emploi d’armes chimiques et d’autre part la menace que représenterait la perte de contrôle par les forces armées des sites où celles-ci sont stockées.
Un porte-parole du Ministère des Affaires étrangères syrien, Jihad Makdessi, confirmant ainsi implicitement la possession d’armes chimiques par la Syrie, a affirmé le 23 juillet dernier que ces armes, qui restent protégées par les forces armées, ne seraient utilisées qu’en cas d’ « agression extérieure », écartant la possibilité que des armes non conventionnelles puissent être utilisées contre les populations, quelle que soit l’évolution de la crise. Dans ce contexte, le président Obama a prévenu, le 20 août, que le déplacement ou l’utilisation d’armes chimiques représenterait une « ligne rouge » et changerait « [ses] calculs » en ce qui concerne la possibilité d’une intervention militaire dans le conflit.
La Syrie est suspectée de détenir de l’ypérite, du sarin, du tabun et peut-être du VX. Elle posséderait également des vecteurs permettant de disperser ces agents, notamment des roquettes, des obus d’artillerie, des bombes aériennes, ainsi que des missiles de type SS-21, Scud-B et C, pouvant être équipés de têtes chimiques. La Syrie aurait dans un premier temps acquis des armes chimiques auprès de l’Egypte juste avant la guerre du Kippour, ayant opposé en 1973 ces deux Etats à Israël. Confrontée à la supériorité israélienne dans le domaine conventionnel, elle aurait par la suite développé dans les années 1980 des capacités de recherche et de production propres. La décision du gouvernement syrien d’initier un programme chimique semble logiquement résulter de sa perception de son environnement régional et de ses préoccupations en termes de sécurité, dans un contexte marqué par la guerre de 1973 et la confrontation avec Israël au Liban en 1982, ainsi que par l’accord de paix signé en 1979 entre l’Egypte et Israël. Le président Hafez el- Assad a en effet pour objectif de chercher à atteindre une parité stratégique avec Israël, le développement d’armes chimiques s’inscrivant vraisemblablement dans une logique de dissuasion plus que d’emploi.
La Syrie a bénéficié de coopérations avec l’U.R.S.S. puis la Russie, l’Iran, la Chine ou encore la Corée du Nord, mais s’est également procuré des équipements et des produits chimiques auprès de firmes occidentales. Elle resterait dépendante de l’importation de précurseurs, de « pré-précurseurs », et d’équipements à double usage. L’Iran serait son principal fournisseur, mais il y aurait aussi acquisition par le biais de sociétés-écrans liées au Centre d’études et de recherches scientifiques ou CERS (« Syrian Scientific Research Council », SSCR). Etabli à Damas en 1971 et officiellement chargé de promouvoir la recherche scientifique et technologique civile, le CERS est la principale entité impliquée dans le programme chimique syrien. L’Institut supérieur des sciences appliquées et de technologie (« Higher Institute of Applied Science and Technology », HIAST), créé en 1983, formerait des ingénieurs affiliés au CERS. Ces deux entités sont visées depuis 2007 par des sanctions américaines, dans le cadre de l’Executive Order 13382.
Plusieurs sites de production auraient été identifiés, près d’Alep (site d’Al-Safir), Homs, Lattaquié et Hama. Les deux principaux sites de stockage seraient situés à l’est de Damas et près de Homs, respectivement à Khan Abou Shamat et Furqlus, mais il en existerait d’autres répartis sur le territoire syrien.
Dans un scénario qui n’est plus improbable, la protection des sites pourrait ne plus être assurée par les forces gouvernementales. Dans le pire des cas, une partie du stock serait susceptible de passer sous le contrôle de groupes islamistes radicaux, réputés opérer en Syrie, ou faire l’objet d’un transfert, volontaire ou non, vers le Hezbollah. Cette menace est prise au sérieux par le gouvernement américain qui a entamé des discussions avec les pays alliés afin d’envisager la façon de sécuriser les sites en cas de chute du régime syrien, l’envoi de forces dédiées à cette sécurisation ayant été évoqué. D’après les déclarations du général Adnan Silou, qui a fait défection, l’Armée syrienne libre (ASL), principale force armée opposée au régime en place, a créé une unité spéciale qui serait capable de sécuriser ces sites. Les problèmes manifestes d’organisation, d’équipement, et d’aguerrissement de l’ASL, de même que la nature hautement complexe d’une telle opération imposent de prendre cette affirmation avec toute la circonspection nécessaire.