Lors des négociations ayant abouti à la signature du TNP, les sous-marins et autres vaisseaux à propulsion nucléaire étaient l’apanage des grandes puissances nucléaires dans le cadre de leur stratégie de dissuasion, et peu imaginaient qu’il puisse en être autrement.
C’est pourquoi aucun article ni aucune mesure ultérieure négociée par l’AIEA n’est venu encadrer cette technologie, qui permet de prolonger l’autonomie et la puissance des navires, en utilisant de l’uranium dont le degré d’enrichissement varie d’environ 5% à 95% pour certains modèles. Or, eu égard aux aspirations avancées ces dernières années par plusieurs pays, comme le Brésil, l’Iran, l’Argentine ou encore le Venezuela, de construire des sous-marins à propulsion nucléaire, il est utile de s’interroger sur les risques posés par ces projets en termes de prolifération, et les enseignements à en tirer pour les réacteurs navals des puissances nucléaires.
Etats utilisant la propulsion nucléaire pour des sous-marins
Source : Arms Control Association
Unités opérationnelles (ou en projet) | Taux d’enrichissement | |
Etats-Unis | 71 | >90% |
Royaume-Uni | 12 | >90% |
Russie | 30 | 40%-90% |
France | 10 | <7,5% |
Chine | 7-8 | 5%? |
Inde | (3-5) | 40% |
Brésil | (1) | <20% |
La menace est de deux natures. Tout d’abord, la fabrication de réacteurs dont certains fonctionnent avec de l’uranium fortement enrichi pose, partout, un problème de sécurité lié au risque de perte ou de vol de matières sensibles lors de la fabrication ou du transport du combustible. Des incidents sérieux ont ainsi déjà été répertoriés aux Etats-Unis avec la disparition de 330 kg d’uranium hautement enrichi dans les années 1960 et en URSS lors de la mise hors service de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE). Le second risque porte sur la déviation possible des matières fissiles pour un usage militaire. En effet, la propulsion navale peut servir de justification à l’enrichissement de l’uranium à des niveaux très élevés et à la constitution d’une capacité nucléaire latente. Or il n’existe à ce jour aucun mécanisme permettant d’éviter une telle dérive.
3000 kg d’uranium hautement enrichi sont utilisés chaque année pour la propulsion navale, ce qui en fait de loin la première utilisation non-militaire d’uranium hautement enrichi. La résolution 1887 du Conseil de sécurité des Nations Unies, le Sommet sur la sécurité nucléaire de 2012 et le rapport final de la Conférence d’examen du TNP 2010 (Action 61 du plan d’action) ont appelé à minimiser l’utilisation de ce combustible.
Dans un premier temps, il parait donc nécessaire de convaincre les Etats souhaitant utiliser la propulsion nucléaire pour leur navires de privilégier l’uranium faiblement enrichi. Choix mis en œuvre par la France pour sa dernière génération de sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) et de SNLE, il semble également que ce soit l’option retenue par le Brésil pour ses SNA qui devraient voir le jour d’ici 2025 et qui seront construits en coopération étroite avec la France.
Dans un second temps, on peut envisager l’abandon, par les pays qui en dépendent, des technologies reposant sur de l’uranium hautement enrichi, sur le modèle français.De nombreuses voix parmi la communauté de la non-prolifération préconisent une telle évolution, notamment lors du remplacement des classes existantes de sous-marins et de navires. Ainsi, pour les Etats-Unis, un tel projet ne pourrait aboutir que pour la classe de remplacement des SNA Virginia, à partir de 2037. Il faudrait attendre 2055 pour les porte-avions et 2061 pour les SNLE car il est déjà trop tard pour modifier la classe de remplacement des Ohio qui sera déployée à partir de 2020. Malgré les échéances lointaines, cette conversion requiert selon les experts de commencer rapidement les recherches (vers 2017) car le développement d’un nouveau type de réacteur est très long. Jugée désavantageuse en termes de coût et d’efficacité en 1995 dans une étude de l’Office of Naval Reactors, cette option avait été vue sous un jour plus favorable dans un nouveau rapport remis au Congrès en 2014 qui l’estimait faisable techniquement même si coûteuse. En réalité, il est difficile au vu des informations rendues publiques de savoir si les coûts de R&D liés à la conception et la production de nouveaux réacteurs seraient plus élevés dans ce cas que ceux engendrés par la préservation d’une unité de production d’uranium hautement enrichi au-delà des 50 prochaines années pour lesquelles les Etats-Unis disposent de stocks conséquents.
L’on peut également s’interroger sur l’effet d’entraînement d’une telle mesure, et la capacité de la marine américaine, si elle décidait de donner la priorité aux objectifs de non-prolifération, de créer un précédent envers les futurs acteurs de la propulsion nucléaire mais également vis-à-vis des trois autres nations utilisant de l’uranium hautement enrichi pour leurs réacteurs navals à savoir le Royaume-Uni, l’Inde et la Russie. Pour le Royaume-Uni, il est peut probable que Londres choisisse de s’éloigner des options retenues aux Etats-Unis, d’autant que des transferts de technologies ont récemment eu lieu entre les deux pays concernant le réacteur du programme Successeur qui devrait être déployé en remplacement des Vanguards. Pour l’Inde, pour qui la maîtrise de ces technologies est relativement récente, il semble peu crédible que des projets existent pour déjà changer le combustible des réacteurs, même si, ceux-ci n’utilisant de l’uranium enrichi qu’à 40%, cela serait a priori moins difficile que pour les Etats-Unis ou le Royaume-Uni. Enfin, même si la Russie dispose de technologies de réacteurs fonctionnant à l’uranium faiblement enrichi pour certains de ses brise-glaces, et que les programmes de remplacement des classes Borei et Yasen devraient être lancés d’ici à 2030, il semble que les études des ingénieurs russes portent actuellement sur une utilisation d’un combustible encore plus enrichi pour accroître la durée de vie des réacteurs. Pour ces quatre pays, des choix doivent en effet être effectués entre sécurité, performance des sous-marins (notamment en termes de manœuvrabilité et de durée d’autonomie) et rapport qualité/prix. À ce jour, le facteur « risque en matière de prolifération » n’a été jugé prioritaire dans aucun de ces pays. Le prochain Sommet sur la sécurité nucléaire, qui se tiendra en 2016, permettra de constater si un revirement est envisageable.